Page 15 - Fondation AWB - Collector 2017
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de ce qui m’a vraiment marque a l’age de 16 ou philosophe francais dont les travaux portent sur
17 ans et que je prends conscience des raisons la politique et l’esthetique. Il explique qu’il n’y a
qui m’ont amene a ecrire. pas de dissociation entre l’esthetique et l’ethique.
Sur un plan plus intellectuel, l’humanisme ne Lorsque l’on a une conviction ethique, il faut
peut pas rester le monopole de l’Occident, surtout trouver le moyen de la restituer avec beaute.
lorsqu’on a une conscience postcoloniale. Nous Quand c’est beau, cela devient vrai?; et lorsque
avons contribue a l’emergence de cet humanisme cela devient vrai, cela est ressenti par l’autre.
et il faut que nous nous reapproprions cet L’art et la litterature existent donc pour faire
humanisme tout en le reinventant. Mais, il n’y a ressentir cette beaute.
pas d’humanisme sans octroi d’une place centrale En cela, je me demarque de ce que l’on appelle
a la femme en tant qu’element de structure «?l’art engage?» et «?la litterature engagee?»
d’une societe humaine ouverte et emancipee. Ce qui croient pouvoir amener les gens a agir a
sont les deux points autour desquels se forme travers leurs productions. J’ai juste besoin, a la
la conscience. fin d’une piece de theatre ou d’un roman, que
J’ajouterai que lorsqu’on ecrit de la litterature, le spectateur ou le lecteur garde a l’esprit un
l’on n’a pas le droit de perorer, de discourir, sentiment qui l’habiterait constamment, voire
d’assommer les lecteurs par une opinion?; il faut meme qui viendrait perturber le cours tranquille
un partage de sensibilite. Cette philosophie du de sa vie. L’auteur doit donc trouver et inclure
«?partage du sensible?» vient de Jacques Ranciere, cet element «?perturbateur?» dans ses ?uvres.
M. Driss Jaydane
Chez toi, Ibn Rochd constitue cet element cette assertion qui renvoie a Aristote, qu’il fonde
«?perturbateur?» qui reste vivace dans ton esprit. une grande partie de son travail hermeneutique
Beaucoup de choses ont ete ecrites sur Ibn et de logique.
Rochd, notamment des livres qui l’ont refute. Entre le “Croire“ et le “Savoir“, l’on peut observer
Qu’il s’agisse de la scolastique chretienne ou de aujourd’hui une contraction dans les societes
la theologie d’Ibn Taymiyya, il y aurait clairement arabo-musulmanes. J’oserais meme dire que ce
un «?probleme Ibn Rochd?». travail sur Ibn Rochd pourrait etre nomme «?la
Tu as entrepris ce travail sur ce personnage contraction et l’etendue?». Je cite pour preuve cette
illustre a un moment tres particulier ou, dans phrase du livre que prononce le narrateur?: «?J’avais
notre culture et dans nos societes, le rapport a peine sept ans. La contraction permanente
entre le “Croire“ et le “Savoir“ pose un eminent insupportable que m’infligeait un asthme de je
probleme. Avec Ibn Rochd, l’on decouvre que ne sais ou, m’empechait d’apprecier l’etendue
meme si ces deux operations sont distinctes, du ciel?». J’ai envie de dire que cette phrase
“Croire“ et “Savoir“ ne s’opposent pas. En clair, resume toute la problematique du livre?; elle
la verite coranique et la verite philosophique ne resume egalement l’etat mental et physiologique
s’opposent pas?; au contraire, l’une peut enrichir de nos societes qui ont un veritable probleme
l’autre. Et la philosophie est la pour approfondir de respiration, de contraction. Les poumons
et expliquer la verite spirituelle vehiculee par intellectuels et spirituels de nos societes sont,
le Coran. En cela, il ne devrait pas y avoir de d’une certaine maniere, pollues par certains types
«?probleme Ibn Rochd?». d’enonces. Comment expliquer les attaques dont
Dans ses ecrits, Ibn Rochd reprend des versets a fait l’objet Ibn Rochd qui proposait justement
coraniques, rappelle a la communaute des croyants l’antidote a ce genre d’enonces et qui militait pour
en citant souvent la phrase suivante?: «?voici un une societe saine?? Et meme aujourd’hui, Averroes
signe pour ceux qui reflechissent?» et non pas est toujours considere par les mouvements
pour ceux qui croient. C’est evidemment sur integristes comme l’ennemi public premier dans
nos societes.
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